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Les actions militantes

Depuis quelques années, des personnes s’organisent et militent contre les discriminations capillaires. Leur objectif : faire cesser ces expériences afin que leur vécu ne soit pas celui des générations futures dans les cours de récré, dans le cercle familial, ou dans le monde du travail. Dans une idée d’acceptation du cheveu naturel, par ceux qui le portent, mais également par les autres, des mouvements militants et des initiatives virtuelles s'organisent. Chacun a mis en place un moyen différent de lutter, parfois sur le terrain, à travers les réseaux sociaux ou en créant une marque. Tour d’horizon.

Revendiquer son cheveu naturel, et être heureux de le faire. C’est tout l’objectif du mouvement « Nappy ». « Nappy », soit « crépu » en français, mais qui signifie également la contraction de deux mots anglais « natural » et « happy », naturel et heureux. Prolongeant le mouvement Black is Beautiful des années 60, la vague Nappy est portée par des femmes qui ont décidé d’arrêter de se défriser les cheveux, de porter des perruques ou des tissages. Souvent utilisé de manière péjorative, le mot « nappy » est ici mis en avant et célébré, réapproprié par les afro-descendants dont le cheveu fait l’objet de dénigrements depuis l’esclavage.

En France, la sociologue Juliette Sméralda et l’entrepreneuse Aline Tacite sont à l’origine de la naissance du mouvement Nappy. « Le mouvement nappy, sans prétention, c’est “Peau noire, cheveu crépu” qui l’a lancé avec le salon d’Aline Tacite. Je suis sociologue et j’ai décidé de ne travailler que sur les problématiques qui nous concernaient », se souvient Juliette Sméralda. La chercheuse a publié Peau Noire, cheveu crépu en 2004.

En parallèle, Aline Tacite a lancé l’association Boucles d’Ébène, elle aussi en 2004. Son but : valoriser toutes les chevelures, crépues, frisées, bouclées, au naturel. À l’époque, les femmes font souvent le choix du défrisage, de perruques, ou de rajouts synthétiques. C’est en revenant au naturel qu’Aline et sa sœur se sont rendues compte que « ce choix singulier posait question, que c’était un véritable débat ».

Cette association est à l’origine de six éditions d’un événement intitulé « Le Salon-Événement Boucles d’Ebène ». C’est à la suite de la troisième édition, en 2007, qu’Aline a pris le chemin de Londres pour se former en tant que coiffeuse pour les chevelures bouclées, frisées et crépues, avant l’ouverture de son propre salon, Boucles d’Ebène Studio, à Bagneux, en 2011.

Lancée en 2019, l’association s’est développée au travers d’événements organisés pour briser le tabou, en donnant la parole aux concernés. « L’idée, c’était de leur donner la possibilité d’évoquer la situation difficile qu’ils avaient par rapport à leurs cheveux et de pouvoir en parler à travers les témoignages qu’on diffuse sur nos réseaux », précise Yassin Alami. Durant différents ateliers en collaboration avec des bloggeuses, l’association a prodigué des conseils sur comment traiter son cheveu. « Sur les réseaux sociaux, on donne également des tips, des conseils sur comment s’occuper de ses cheveux crépus, le shampoing, l’après-shampoing, les huiles », explique le co-fondateur.

Les réseaux sociaux, c’est l’outil principal du mouvement qui dénombre 4 000 abonnés sur Instagram, 5 000 sur Facbeook et 1 000 sur Twitter. « On est une communauté jeune et une nouvelle génération qui évoque le sujet et qui veut faire évoluer la question », estime Yassin Alami. Sur ses pages, l’association répond aux questions de ses abonnés qui, pour certains, ne savent pas du tout s’occuper de leurs cheveux naturels, en raison du manque d’information. Hrach is Beautiful partage aussi les adresses des rares salons spécialisés dans la coiffure des cheveux bouclés, frisés, crépus, comme celui d’Aline.

Les associations ne sont pas les seules à user des réseaux sociaux pour instaurer une prise de conscience, des influenceuses, des militantes, des journalistes en font également leur terreau principal. C’est d’ailleurs à travers ces plateformes que les militant(e)s sont le plus entendu(e)s. Que ce soit sur Youtube, Instagram ou encore Twitter, ceux-ci sont parfois suivis par des milliers d’internautes et les initiatives autour de l’acceptation du cheveu agitent autant qu’elles rassemblent. C’est le cas de A.I.M, Youtubeuse, près de 80 000 abonnés sur sa chaîne, elle évoque souvent la question des cheveux et a également lancé son propre concept sur la question, « Don’t touch my hair ». Une série de vidéos où elle interroge différentes femmes sur le rapport qu’elles entretiennent avec leurs cheveux.

L’objectif principal de la Youtubeuse étant de remettre le cheveu au cœur des débats, elle incite sa communauté à s’exprimer sur ce sujet afin de créer un retour d’expérience sur les discriminations ou les réflexions désobligeantes subies, et encourager une acceptation de soi. « Pour moi c’était vraiment un effet double, à la fois éduquer les personnes non concernées à comprendre et à cesser de discriminer et en même temps réconforter et soutenir les femmes qui ont les cheveux crépus, frisés, les aider à se sentir mieux », confie-t-elle.

Au-delà de sensibiliser les parents et les enfants à l'importance des soins à apporter aux cheveux crépus, Hashley Auguste souhaite également pallier au manque de représentation. Selon elle, les personnes issues de la diversité sont très peu représentées au quotidien, et encore plus lorsqu’il s’agit du contenu pour enfants : livres, dessins animés ou jouets. « Ce que j’aimerais, l’idéal, ce serait que quand un enfant regarde un épisode, cela puisse ouvrir une discussion sur les sujets que je traite dans le dessin animé », explique-t-elle. 

La création et le partage de contenus culturels sont aussi des moyens d’action privilégiés pour sensibiliser à la cause du cheveu et des discriminations capillaires. C’est le moyen qu’a choisi Johanna Makabi, réalisatrice. Avec son amie Adèle Albrespy, elles ont réalisé le documentaire « Méduses, cheveux afros et autres mythes », sorti en 2018. À travers la voix de plusieurs femmes originaires de différentes villes dans le monde, celui-ci interroge sur les traditions de coiffure et la prise de soin du cheveu crépu, bouclé, et frisé.

Un projet qui entre en résonnance avec le vécu personnel de Johanna Makabi, qui a elle-même transformé à plusieurs reprises la nature de ses cheveux, ce qui lui a causé des problèmes d’alopécies. La réalisation du documentaire lui a permis de découvrir des savoirs-faire diverses et variés autour du cheveu et d’accepter peu à peu sa texture naturelle.

Pendant ses débuts, la marque s’adressait aux cheveux du pourtour méditerranéen, nord et sud. Rapidement, Meryem Benomar s’est rendu compte que l’absence des produits adaptés était également une réalité pour tous les types de cheveux bouclés. « Il n’y avait pas de marque made in France, naturelle, insiste l’entrepreneuse. Tout est formulé à côté d’Orléans, et un de nos ingrédients phare est l’huile de figue de barbarie du Maroc. »

Meryem Benomar, qui a toujours gardé ses cheveux naturels, insiste sur l’importance de l’acceptation de soi. « Qu’on le veuille ou non, ce sont des cheveux qui sont galère. Tous les matins, quand on se lève, ça ressemble à rien et naturels ou pas naturels, il faut que tout ça prenne forme. Il y a un travail quotidien à faire au niveau du coiffage », rappelle-t-elle.

Ce cheveu, qui peut être vécu comme quelque chose de pénible au quotidien, doit être vu comme une force, pour Meryem Benomar, car on peut changer de tête du jour au lendemain.

« Il faut accepter sa nature de cheveu à la base. La bataille du cheveu sera gagnée le jour où ça deviendra un non-sujet. Les choses sont en train de bouger et je pense que le jour où ce sera accepté dans le milieu professionnel, la bataille sera gagnée », martèle la créatrice.

Pour Sandrine Sophie, c’est un constat similaire qui l’a poussée à créer Kalia Nature. Cette marque de cosmétique a d’abord été lancée en 2010 pour une phase de test. Sandrine a ensuite commencé sa commercialisation en 2014. Partie d’un besoin personnel, les produits Kalia Nature sont désormais commercialisés à travers le monde.

À l’instar de Shaeri, Kalia Nature propose également à ses consommateurs des produits naturels, spécifiques aux besoins des cheveux bouclés, frisés et crépus, qui sont d’ordinaire absents des rayons des supermarchés. Formulés à la main, les produits de Sandrine sont réalisés dans un laboratoire situé en Seine-Saint-Denis.

Au-delà de son projet de marque, Sandrine Sophie souhaite accompagner les jeunes mamans, qui, comme elle, choisissent de s’occuper naturellement des cheveux de leurs enfants. Un choix qui n’est pas toujours simple, puisque les produits adaptés sont rares, et les techniques de coiffures ne sont pas forcément accessibles. Kalia Nature propose donc des fiches afin d’accompagner au mieux les parents dans l’entretien naturel des cheveux de leurs enfants. « On explique quels sont les produits et dans quel ordre les utiliser, de façon à faire une routine pour préparer le cheveu et l’entretenir correctement. »

Sandrine estime que la mouvance Nappy accompagne fortement sa marque. « Les jeunes femmes qui se défrisaient les cheveux auparavant se rendent compte que porter son cheveu naturel peut être un acte militant, c’est-à-dire revendiquer qui nous sommes et qui nous voulons être et comment nous voulons que la société nous voie », résume-t-elle.

Mises en évidence par des recherches historiques et sociologiques, les discriminations capillaires sont vécues quotidiennement par des milliers de personnes en France. Sous formes de remarques dans la cour de récré, d’injonction sociale au lissage ou de matraquage publicitaire manquant de représentativité. Femmes et hommes aux cheveux bouclés, frisés et crépus se retrouvent seul(e)s face à leur image. Si certains font le choix d’assumer leur différence et d’être fièr(e)s de la nature de leurs cheveux, d’autres font tout pour la cacher et se conformer aux standards. Afin de libérer la parole autour d’un sujet parfois tabou dans le cercle familial, associations et initiatives numériques tentent de créer un débat, et d’inviter les principaux concernés à s’exprimer sur le sujet. Contrairement aux Etats-Unis qui ont utilisé leur arsenal législatif pour contrer le problème, la France peine encore à le reconnaître. Pourtant, chaque personne qui franchit la porte du salon d’Aline Tacite a un vécu, parfois lourd, à raconter. Chaque abonné(e) de l’association Hrach is Beautiful se souvient d’un moment lors duquel ses cheveux ont été l’objet de moqueries. Chacun des interlocuteurs de ce webdocumentaire a été victime d’une personne, parfois inconnue, venant lui toucher les cheveux sans sa permission.

En France, peu ou pas de coiffeurs spécialisés

Réappropriation des cheveux « Hrach »

Réseaux sociaux et sensibilisation

Un éveil des consciences à travers la culture

Des marques qui s'engagent

Gagner la bataille du cheveu

Accompagner l'estime de soi dès l'enfance

A.I.M, Youtubeuse évoque la diversité des témoignages qui composent sa série vidéo « Don't touch my hair ». Cliquez sur le haut-parleur pour l'écouter. 

A.I.M raconte les différents retours qu'elle a eu à la suite de sa série vidéo « Don't touch my hair ». 

Hashley Aguste, créatrice de « Little Nappy » dresse le constat du manque de représentation des personnes aux cheveux crépus au sein des dessins animés pour enfants. 

Victoria Kabeya a créé le compte Instagram « We are afro arabs », elle explique ses motivations et évoque son rapport personnel à ses cheveux. 

Linda Chibani évoque les raisons pour lesquels elle a créé le podcast « On Hair ». 

Pour Sandrine Sophie, les grandes marques de cosmétiques ont longtemps boudé le marché des produits pour les cheveux afro, mais c'est en train d'évoluer. 

Virginie Honian a mûri le projet de Nooru Box depuis 2014, avant de se lancer dans sa réalisation en 2016. 

Introduction

Les origines 

historiques

Les témoignages

À propos

Cliquez sur les symboles lecture pour entendre la présentation 

de chaque mouvement

militant.

Les salons de coiffure spécifiques qui savent répondre à cette demande-là, il n'y en a pas encore suffisamment en France. » 

 

Aline Tacite, Coiffeuse engagée 

Est considéré comme hrach le cheveu ondulé, ou un peu bouclé et donc le cheveu crépu par extension. » 

 

Yassin Alami, co-fondateur de Hrach  is Beautiful 

 

 

Pour moi, c'était vraiment un effet double, à la fois éduquer les personnes non concernées à comprendre et à cesser de discriminer et en même temps réconforter et soutenir les femmes qui ont les cheveux crépus, frisés. »

 

A.I.M, Youtubeuse

L'idéal c'est que quand un enfant regarde un épisode, ça puisse ouvrir une discussion sur les sujets que je traite dans le dessin animé. »

 

Hashley Auguste, créatrice
de "Little Nappy"

Certaines femmes découvrent des histoires capillaires qui ne les concernent pas mais elles réalisent ce que d'autres vivent et je trouve ça super intéressant. »

 

Linda Chibani, créatrice de « On Hair »

On explique quels sont les produits et dans quel ordre les utiliser, de façon à créer une routine pour préparer le cheveu, et l'entretenir correctement. »

 

Sandrine Sophie, créatrice de
la marque Kalia Nature
 

À l'intérieur de la Nooru box, je vais faire des sélections culturelles entre mustique, littérature, artisanat
et art contemportain. »

 

Virginie Honian, créatrice de 
la Nooru Box.

À PROPOS DE CE PROJET

En créant son salon, Aline Tacite a répondu à une demande qui était jusqu’alors peu traitée. « Les salons de coiffure spécifiques ou en tout cas qui savent répondre à cette demande-là, il n’y en a pas encore suffisamment », estime-t-elle, Neuf ans plus tard. L’éducation professionnalisante est quasi absente du territoire français, ce qui explique le manque de salon spécialisés dans la coiffure des cheveux bouclés, frisés et crépus. « Ça part déjà de la base, l’éducation. Maintenant les produits, fort heureusement cet aspect-là a grandement changé, évolué dans le sens positif. Aujourd'hui, contrairement à 15/17 ans en arrière on a vraiment une offre qui répond aux besoins avec différentes gammes de produits », souligne Aline Tacite.

Plus récemment, c’est le mouvement Hrach is beautiful qui a fait son apparition. Fondé par Yassin Alami et Samia Saadani, cette association est née d’une volonté de parler du cheveu crépu, frisé, chez la communauté nord-africaine. « Est considéré comme hrach le cheveu ondulé ou un peu bouclé et donc le cheveu crépu par extension. C’est le cheveu qu’on n'aime pas trop chez nous », résume son co-fondateur.

Toujours sur Youtube, Hashley Auguste agit elle aussi en faveur d’une réappropriation des cheveux naturels et plus particulièrement sur une acceptation des cheveux crépus pour les plus jeunes. À travers son livre et sa série pour enfants, « Little Nappy », elle incarne une petite fille qui subit des moqueries à l’école à cause de ses cheveux. Elle va apprendre peu à peu à les aimer et à les coiffer grâce notamment à l’aide de sa mère, « je me suis dit que ça serait bien qu’il y ait un personnage qui parle aux enfants directement et qui puisse leur apprendre les bases du soin capillaire, c’est vraiment parti du cheveu », explique la créatrice.

Les discussions sur l’acceptation du cheveu naturel ne sont pas seulement l’apanage des réunions familiales ou amicales, sur Instagram aussi la question fait débat. Suivie par 628 personnes, le compte Instagram “We are afro arabs” créé par Victoria Kabeya a pour but de mettre en lumière un fait, les origines africaines qui composent l’histoire de plusieurs pays arabes et berbères. Dans certains pays du monde arabe, cette africanité n’est pas assumée et les personnes aux cheveux crépus sont pointées du doigt et parfois même discriminées.

L’outil culturel a également été privilégié par Linda Chibani, créatrice du podcast « On hair ». Du cheveu long, au défrisage, en passant par le colorisme, les thèmes sont variés et abordent la question du cheveu dans son ensemble. Le podcast a vu le jour en janvier 2019 et cumule à ce jour 18 épisodes avec différents interlocuteurs, anonymes ou non qui évoquent leur rapport avec leurs cheveux. Des témoignages qui permettent une identification pour les personnes concernées, « beaucoup se reconnaissent dans les histoires écoutées et se sentent moins seuls, d’autres admirent certaines de mes intervenantes pour leurs prises de positions et ont pour objectif finalement d’y parvenir, ça leur donne du courage et de la force. Enfin certaines découvrent des histoires capillaires qui ne les concernent pas mais elles réalisent ce que d’autres femmes vivent et je trouve ça super intéressant. » détaille-t-elle. 

 

Le militantisme peut également se traduire par des actions entrepreunariales, telle la création d’une marque. Meryem Benomar a créé Shaeri en juin 2018 en partant d’un simple constat : aucun produit de marque française ne correspondait parfaitement à son type de cheveu. « J’ai un cheveu ni caucasien, ni africain. C’est vraiment un cheveu métissé, très fragile et fin. Avant de commencer la marque, j’en ai parlé un peu autour de moi, et en effet tout le monde était d’accord, il n’y avait pas de marque " repère " pour ce type de cheveu », explique la créatrice de Shaeri.

Au-delà du monde de la beauté, d’autres initiatives commerciales naissent de cette absence d’offre en France. Virginie Honian, elle, a décidé de créer une box : la Nooru Box. Ce coffret culturel est dédié aux cultures noires. « Ce qui m’intéressait, ce sont toutes ces interactions culturelles entre ces différents continents et à l’intérieur de la Nooru box, j'essaye de faire des sélections culturelles entre musique, littérature, artisanat, contemporain », explique sa créatrice.

Meryem Benomar, co-fondatrice de Shaeri

Johanna Makabi, réalisatrice