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Noal Mendy, a subi des

discriminations capillaires
à l'école.

Yassin Alami, a subi des

discriminations capillaires

au travail.

Chériyane Courta, a subi des

« touchages » de cheveux à plusieurs reprises. 

Ardwel Courta, a subi des

discriminations capillaires lors d'un combat martial.

Le cheveu, un attribut presque anodin dont chacun de nous dispose peut parfois prendre la forme d’un complexe, d’un malaise, ou encore d’une source de questionnements. Le rapport au cheveu peut être semblable à celui que l’on entretient avec d’autres parties du corps. Un rapport qui se construit à travers la socialisation des individus, des normes qui sont intériorisées mais aussi à travers de possibles identifications ou représentations. Celui-ci est parfois apaisé, flou ou bien au contraire conflictuel. Les différentes personnes interrogées ont accepté de partager cette part de leur intimité avec nous et avec vous.

La discrimination capillaire est majoritairement vécue par les personnes dont les cheveux ne correspondent pas aux normes dominantes, qui sont celles du cheveu lisse et raide. Les individus ayant des cheveux crépus, bouclés, ou frisés intériorisent cette exclusion et nourrissent parfois un rapport difficile à leur chevelure. C’est le cas de Samia, étudiante. « Quand je laisse mes cheveux au naturel, je ne les trouve vraiment pas beaux. Je ne peux pas les coiffer, je ne peux rien en faire et je dois tout le temps les attacher ». Un rapport conflictuel qui l’a conduit à transformer quotidiennement la nature de ses cheveux, ou à la cacher pour se sentir mieux. « Je les lisse  et je me sens moi-même. Je ne sais pas pourquoi, mais je m’accepte mieux », concède-t-elle.

Un processus qui débouche parfois sur une rencontre avec la texture de son propre cheveu et à une perception différente. Les personnes aux cheveux crépus, frisés ou bouclés se rendent compte que lorsqu’elles adoptent des techniques de soin et de coiffage adaptées à la nature de leurs cheveux et non pas celles destinées aux cheveux lisses, elles apprennent à se connaître et ainsi à mieux accepter leur chevelure.

Ces remarques commencent parfois même avant le début du primaire, et dont Aline Tacite fait part. Ces dernières ne sont pas foncièrement méchantes, mais ont suffit pour instaurer un mal-être chez sa petite fille de 4 ans vis-à-vis de sa coiffure. « Elles sont assez violentes pour un enfant de cet âge-là pour qu’ensuite il revienne à la maison et qu’il dise à sa maman “maman je n’aime pas mes cheveux je voudrais avoir les cheveux lisses.” », raconte-t-elle.

Une fois quitté le monde scolaire, c’est celui du travail qu’il faut affronter. Comme à l’école, la peur d’être jugé et critiqué pour ses cheveux perdure. Chez certains, elle se manifeste dès l’entretien d’embauche. Pour Sirine, ses cheveux, en plus de son origine, peuvent être vus comme un handicap dans la recherche d’emploi. « Ma mère me payait le coiffeur à chaque fois que je passais un entretien important », raconte-t-elle. Christelle, elle, a choisi pendant un certain temps, de porter une perruque ou d’adopter une coiffure spécifique pour mettre toutes les chances de son côté. Ayant les cheveux crépus, elle a récemment décidé de se raser le crâne. « C'était vraiment libérateur. J’ai vraiment une relation beaucoup plus apaisée avec mes cheveux », raconte-t-elle.

L’accès au poste n’est pourtant pas synonyme de l’arrêt des injonctions capillaires. Certaines personnes font le choix de continuer à modifier la nature de leurs cheveux pour aller au travail, tandis que d’autres revendiquent leurs cheveux naturels. C’est le cas d’Ardwel, ce qui lui a valu des remarques désobligeantes de la part d’une collègue.

Au-delà des lieux de socialisation, des critiques ont parfois lieu à l’intérieur du cercle familial. C’est ce qu’à vécu Yassin Alami. Lorsqu’il a annoncé à ses proches la décision de se laisser pousser les cheveux, il a essuyé plusieurs critiques.

Le manque de produits adaptés aux cheveux non-lisses dans les grandes surfaces participe également à ce phénomène d’exclusion. Dans les centres commerciaux, les personnes aux cheveux crépus, bouclés ou frisés ont très peu de choix. Elles doivent alors se conformer à la norme et acheter des produits qui ne sont pas conçus pour leur nature de cheveux ou bien se fournir ailleurs. Elles subissent donc une exclusion au sein même de l’offre commerciale. Elles doivent donc mettre en place d’autres stratégies, afin de se procurer les produits adaptés à leur texture de cheveux. Les magasins spécialisés en font partie, mais restent peu accessibles dans certaines régions. Les personnes concernées doivent donc se fournir en stock et en cas d’urgence capillaire se retrouvent dépourvues, ne pouvant pas se fournir au supermarché du coin.

Pour les personnes concernées, l’organisation est à repenser, tant au niveau du temps que des moyens financiers. La rareté de ces produits rend leur prix plus élevé que s’ils étaient accessibles au rayon cosmétique des grandes surfaces. « C’est difficile de faire une moyenne des dépenses mais je sais que le mois dernier, j’ai au moins dépensé 50 euros pour mes cheveux. Shampoings, masques, huiles, il faut penser à tout, c’est beaucoup d’entretien. Les cheveux lisses, c’est beaucoup moins d’entretien », affirme Aménie Robert. Paradoxalement, une course « au meilleur produit » s’est installée, c’est à celui qui lissera le mieux les cheveux, qui les rendra les plus souples, les plus brillants. Des produits qui, eux aussi, nécessitent un budget important.

En dehors du cadre scolaire ou du monde du travail, les personnes concernées se retrouvent à faire face à des situations de discrimination décomplexée. Noal Mendy en a été victime de multiples fois. Il s’agit de ces moments où, dans la rue ou dans un magasin, un inconnu s’est permis de lui toucher les cheveux de manière intrusive. « Ils me demandent alors qu’ils ont déjà les mains dans mes cheveux », se souvient-elle.

Pour Daphné Bédinadé, cette situation est familière. Il lui est arrivé une expérience similaire avec un groupe d’amis lors d’une soirée. « Ils se permettent des choses, que je ne qualifierai pas de discriminations, mais qui sont quand même révélatrices de la manière dont ce cheveu est appréhendé », soulève la doctorante. Afin de révéler les consciences, elle choisit de mettre son interlocuteur dans la situation inverse, et de demander si elle peut toucher ses cheveux lisses.
« Je pense que ça met les personnes devant le caractère arbitraire et absurde de la chose. »

En soirée, dans la rue, mais aussi lors de moments plus anodins comme en étant en courses, les personnes aux cheveux crépus, frisés, bouclés sont scrutées, épiées, montrées du doigt. C’est le cas de Néhémie Lémal, cinéaste. Elle a réalisé « On ne peut plus rien dire », un court-métrage documentaire qui évoque la question de la coupe afro et du racisme ordinaire que celle-ci peut susciter en France.

Pour mettre fin à ces expériences perturbantes et apaiser le rapport des futures générations avec leurs cheveux crépus, plusieurs solutions peuvent être mises en place. La première reste l’éducation, selon la militante Victoria Kabeya. Pendant un temps pionne dans un collège, elle affirme avoir vu plusieurs professeurs toucher les cheveux crépus d’élèves.

Pour Ophélie, l’éducation saura également répondre à ces problèmes. « Dès le plus jeune âge, il faut sensibiliser au fait que nous sommes tous différents, que ce soit capillairement parlant ou autre, ça passe par l’éducation comme l’éducation aux médias », explique la jeune femme. Une préconisation partagée par Ardwel Courta.

Dans l’amélioration du rapport à soi, à ses cheveux, les réseaux sociaux peuvent également jouer un rôle. Grâce aux influenceurs et influenceuses, les cheveux bouclés ont repris du terrain dans l’espace public. S’ils restent peu présents dans les écrans de télévision où la norme du cheveu lisse perdure, sur les smartphones, ils s’invitent dans les fils d’actualités. Un mouvement d’acceptation de soi qui a permis à Ophélie de se sentir mieux. « C’est sur les réseaux sociaux que je vais pouvoir trouver des personnes qui me ressemblent parce que à la télé je n’en vois pas forcément. » 

Outre-Atlantique, une loi a été votée dans cinq États des Etats-Unis, visant à interdire la discrimination capillaire à l’embauche. À New-York, en Californie et dans le New Jersey, il est désormais interdit d’empêcher l’embauche d’un candidat, car sa coupe de cheveux ne serait pas jugée comme « professionnelle ». Un projet porté par Creating a Respectful and Open World for Natural Hair (Créer un monde ouvert et respectueux des cheveux naturels), ou tout simplement CROWN (Couronne). Financée par la marque Dove, cette coalition de 60 organisations a pour objectif d’étendre cette mesure à l’ensemble des États du pays. « Nous avons actuellement 5 États dans lesquels la mesure a été votée, et 25 États dans laquelle elle est en train d’être débattue », se félicite la porteuse de projet Kelli Lawson.

 

La coalition souhaite que les femmes noires puissent être libérées de cet impératif vis-à-vis de leur coiffure au travail. À 53 ans, Kelli Lawson explique que pendant 45 ans de sa vie, elle s’est conformée aux standards de beauté en lissant chimiquement ses cheveux. « Ce n'est qu'il y a quelques années que j'ai vraiment commencé à ressentir la liberté de porter mes cheveux tels qu'ils poussent sur ma tête », confie-t-elle. Afin de prouver la nécessité de ce projet de loi, The CROWN a réalisé une étude sur 2000 femmes, qui conclut que les femmes noires ont 80 % de chances en plus de changer la nature de leurs cheveux pour se conformer à des critères de beauté.

Pour Yassin Alami, cette mesure est intéressante, mais en France, on reste très loin d’une possible application. Le militant aimerait cependant que les entreprises ayant empêché l’embauche ou la promotion d’une personne à cause de ses cheveux soient condamnées.

Un rapport mitigé

La « réflexion capillaire »

Des critiques violentes dès 4 ans

Trouver des produits adaptés : un vrai casse-tête

Même constat pour les prestations capillaires

En courses, en soirée, dans la rue

Lutter via l'arsenal législatif

Créatrice du podcast « On Hair », Linda Chibani
évoque son rapport à ses cheveux qui a longtemps été conflictuel. 
Cliquez sur le haut-parleur pour l'écouter.

Le filleul de la compagne d'Ardwel a été victime de moqueries dès la maternelle, l'ingénieur revient sur le vécu du petit garçon. 

Christelle explique comment elle préparait spécifiquement ses cheveux lorsquelle se rendait à des entretiens d'embauche et sa prise de conscience à ce sujet. 

« Avoir les cheveux lisses, ça coûte moins cher qu'avoir les cheveux bouclés », c'est le constat que Linda tire losqu'elle évoque la question des produits capillaires. 

Noal a plusieurs fois été victime de gestes intrusifs de la part d'inconnus. Elle revient sur un événement qui l'a particulièrement marqué. 

Pionne dans un collège pendant quelques temps, Victoria a été témoin du comportement inapproprié de certains professeurs envers les élèves.

En France, on est encore très loin d'une loi contre les discriminations capillaires selon Yassin Alami. 

Le jour où j'ai commencé à soigner mes cheveux et à aller dans leur sens, ils n'avaient pas la même forme. » 

 

A.I.M, Youtubeuse 

J’ai eu du mal puisque je voyais tous mes camarades de classe avec de beaux cheveux raides, je rêvais d’avoir les mêmes qu’eux. »

 

Samira, Concernée 

Ma mère me payait le coiffeur
à chaque entretien important. 
 »

 

Sirine, Concernée 

Si tu veux apprendre à coiffer un cheveu crépu, bouclé, frisé, il faut faire tes propres stages. »

 

 

A.I.M, Youtubeuse

Ils me demandent alors qu'ils ont déjà la main dans mes cheveux. »

 

 

Noal, concernée

Les témoignages des victimes
de discriminations capillaires

Introduction

Les origines 

historiques

Les actions
militantes

À propos

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Cliquez sur les symboles lecture pour entendre les témoignages des différentes personnes concernées par les discriminations capillaires.

Le rapport aux cheveux est personnel, mais il peut parfois être une source de malentendu et ou d’incompréhension avec l’entourage proche. Les normes intériorisées poussent les personnes qui en sont déviantes à s’y ajuster en se lissant les cheveux ou en diminuant leur volume. Néanmoins, cette hostilité aux cheveux naturels peut parfois devenir un processus d’apprentissage qui débouche sur une acceptation progressive. « Le jour où j’ai commencé à soigner mes cheveux et à aller dans leur sens, ils n’avaient pas la même forme », détaille Annabelle (A.I.M), Youtubeuse.

La prise de conscience relève à part entière du rapport intime d’acceptation, ou de rejet, que l’on peut entretenir avec ses cheveux. Linda Chibani, créatrice de podcast « On hair » explique avoir cessé de questionner la nature de ses cheveux lorsqu’elle a effectué une « réflexion capillaire ».

Un sentiment partagé par Samira*, la quarantaine, qui se rappelle de ses années primaires et des critiques qu’elle a reçues de la part de ses pairs qui l’ont surnommée « le mouton ». « C’est très humiliant quand on est enfant, elle confie. J’ai eu du mal puisque je voyais tous mes camarades de classe avec de beaux cheveux raides, je rêvais d’avoir les mêmes qu’eux. J’avais un peu honte de ne pas être comme les autres. » Ces moqueries enfantines souvent prises pour des jeux peuvent avoir des conséquences beaucoup plus dramatiques sur les jeunes aux cheveux bouclés à crépus, les forçant à modifier la nature de leurs cheveux pour ressembler à un idéal.

 

* Le prénom a été modifié.

En grandissant, ces personnes peuvent faire face à des discriminations dans des lieux de socialisation. Le premier d’entre-eux est l’école. Dans des établissements scolaires où la mixité sociale est moindre, certains enfants se retrouvent être les seuls à avoir les cheveux non-raides. C’est le cas de Noal Mendy qui a grandi en Moselle, où, avec sa soeur, elles étaient les uniques personnes noires du village. « Pour ma part, c’était ma mère qui était blanche. Elle avait aussi les cheveux lisses. Donc toutes les figures féminines autour de moi avaient les cheveux lisses, et ça m’a très vite complexée », témoigne la jeune fille.

Suite à cet incident, la marraine du petit lui a offert un livre, Comme un million de papillons noirs. « L’idée c’était de lui expliquer que ses cheveux étaient beaux, ils existent donc ils sont beaux, c’est naturel, c’est à toi et il faut que tu en prennes conscience et possession. Plus tu les connais, plus tu vas les aimer », explique Ardwel. Ce livre pour enfants de Laura Nfasou vise à mieux faire accepter les cheveux bouclés et crépus des enfants qui en portent.

 

Arrivé dans les études supérieures, les critiques sont moins courantes, moins directes. Ce qui n’a pas empêché Sirine Sadour de vivre une expérience de discrimination capillaire avec l’une de ses professeurs à l’Université.

Au vu de la formation inexistante pour les coiffeurs en France en ce qui concerne les cheveux non-lisses, peu d’entre eux sont habilités à coiffer les cheveux crépus, frisés, bouclés. Les personnes ayant ce type de cheveux ne peuvent donc pas bénéficier d’une prestation chez un coiffeur  « classique » et accessible. Plusieurs de nos interlocuteurs disent avoir été confrontés à une incompréhension ou à un malentendu lorsqu’ils se sont rendus chez le coiffeur. Cette expérience commune peut même être perturbante et marquante pour ces derniers, et participer au rejet intériorisé de leur texture de cheveux. Le professionnel n’ayant pas appris à coiffer leurs cheveux se retrouve impuissant, expliquant parfois avec maladresse qu’il ne pourrait pas répondre à leur demande. Cette situation participe à l’exclusion ressentie par les personnes discriminées.

Aline Tacite, coiffeuse engagée.